Le Pithiverais abrite l’un des plus grands guides polaires Français. Quand Sylvain Mahuzier ne réside pas dans son Malesherbois, il part en excursion aux pôles. A 58 ans, il compte 30 années d’expéditions à travers les régions les plus froides du monde.
L’Arctique, l’Antarctique, l’Islande… Le carnet de bord des derniers mois de Sylvain Mahuzier déborde de destinations exotiques. Presque la routine pour cet aventurier basé dans le Pithiverais, malgré tout jamais rassasié de voyages à l’autre bout du monde. « En 2015, j’ai battu mon record en partant plus de 8 mois dans l’année », raconte celui qui vient de retrouver, depuis peu, la chaleur de « sa grotte ». Autrement dit, la petite pièce transformée en bureau où s’entassent par centaines ses livres sur la faune et la flore.
Loin des terres gelées qu’il affectionne tant, le guide naturaliste spécialisé dans les régions polaires s’accorde une pause de quelques semaines. Au-dessus de lui, une vertèbre de dauphin et un piranha séché trônent dans sa vitrine, au milieu des autres souvenirs ramenés de ses folles aventures. Celles qu’il vit depuis plus de trente ans et que le (presque) sexagénaire à la barbe blanche n’a de cesse de raconter avec passion.
Les Mahuzier, une famille d’aventuriers
Une passion dévorante partagée, quand ce n’est pas sur le terrain avec des touristes épris comme lui d’expéditions, lors de conférences ou dans des livres. Toujours avec ce souci de la vulgarisation, une habitude qui remonte à loin, à cette époque, où, jeune, il enseignait les sciences naturelles. « Puis j’ai un peu travaillé dans des maisons d’édition spécialisées dans la nature, raconte Sylvain Mahuzier. Mais vu mon héritage familial, ce fut toujours compliqué pour moi de travailler comme salarié… »
Incontestablement, le goût de l’aventure semble plus fort que tout dans la famille Mahuzier. Le grand-père paternel, Albert, comptait parmi les pionniers – avec, notamment, le commandant Cousteau – des conférences estampillées Connaissance du monde. Le genre d’homme rendu célèbre pour partir avec sa femme et ses neuf enfants en Afrique centrale, à la poursuite des gorilles. « En 1970, je n’avais même pas 13 ans, il décidait de tourner un film sur les oiseaux explorateurs. J’ai pu partir avec lui sur le terrain, un peu partout en Europe. Mon premier grand voyage, la première fois que je regardais à la longue-vue terrestre, dans un objectif… Je suis tombé dans la marmite et n’en suis jamais sorti », raconte le sympathique guide aux faux airs de Niels Arestrup, le comédien.
Mais aux terres ensoleillées qu’affectionnait son aïeul, Sylvain Mahuzier va préférer celles gelées des pôles. « À quelques jours près, je naissais au Canada. J’ai donc passé toute ma vie intra-utérine dans les grands espaces », donne comme élément d’explication un homme qui se définit comme invariablement « attiré par le froid ». Aussi il compte 27 printemps quand il décide de plaquer sa vie bien rangée pour se confronter aux rigueurs d’une île perdue loin au nord. « J’ai économisé pendant trois ans pour m’acheter une vieille voiture et j’ai fini par écumer l’Islande de long en large. » Il passe une année sur la terre de glace. « J’y ai vu ma première aurore boréale, ça m’a marqué à vie. » Le jeune homme expérimente aussi la solitude au long cours. Une épreuve pour certains qui lui procure, au contraire, « une sensation de liberté phénoménale ».
Au milieu des manchots royaux par milliers
Une sensation, quelque part, qu’il ne cessera de chercher à retrouver tout au long de sa vie. « Je me rappelle mon arrivée sur une plage de Georgie du Sud, (une île située entre l’Amérique du Sud et l’Antarctique, NDLR.) où plusieurs dizaines de milliers de manchots royaux se trouvaient. N’ayant jamais vu d’être humain, ils semblaient très curieux. Certains s’approchaient, d’autres me picoraient carrément les bottes, en tout cas ils ne ressentaient aucune crainte », se remémore-t-il, ses yeux clairs comme encore empreints de ces fantastiques paysages isolés du reste du monde.
Indépendant, épris de liberté, Sylvain Mahuzier reste attaché à son village d’attache du Malesherbois, qu’il rejoignait voici une quinzaine d’années. L’autre pôle de sa vie, en quelque sorte. « Je voulais alors quitter Paris sans trop m’éloigner », explique celui qui se définit comme pas très citadin. Avec sa femme, il finit par élire domicile au hameau de Pinçon – parfois écrit « Pinson », comme l’oisillon très répandu dans les arbres des campagnes. Le hasard plaît à l’amoureux de la nature, aussi reconnu comme un ornithologue réputé.
Rentrer à la maison, « un sentiment ambivalent », confie ce père de deux grands enfants (18 et 24 ans) témoignant de sa difficile acclimatation au moment de retrouver la fureur de la ville. « Je me sens à la fois ravi de retrouver la famille et les amis, mais il faut aussi reprendre une vie normale… »
Cette dernière ne dure jamais très longtemps chez Sylvain Mahuzier. D’ici quelques semaines, le guide de l’extrême du Pithiverais rejoindra Spitzberg, une île norvégienne située à 1.000 kilomètres du Pôle nord. Il y retrouvera ces ours polaires maintes fois côtoyés, toujours vigilant pour ce qui reste un métier, certes fantastique, mais possiblement dangereux. Seulement comment résister à l’appel de l’aventure ?
« D’où vient cette étrange attirance de ces régions polaires, si puissante, si tenace, qu’après en être revenu on oublie les fatigues, morales et physiques, pour ne songer qu’à retourner vers elles ? », questionnait Jean-Baptiste Charcot, un illustre explorateur du début du XX e siècle que ne manque pas de citer Sylvain Mahuzier. Toujours écartelé entre sa maison de cœur et l’un de ses deux pôles tant adorés, le Malesherbois cherche encore la réponse…
Julien Pépinot