Survivre à Gaza malgré le blocus israélien

Prisonniers d’une mince bande de terre de 60 km sur 10, les Palestiniens de Gaza subissent depuis trois ans le blocus économique décrété par Israël. Grâce aux tunnels creusés vers l’Égypte,les produits continuent d’entrer. Mais ils sont chers, la vie est très difficile pour les habitants. Confrontés à un sentiment d’enfermement, beaucoup dépriment…

RAFAH (de notre envoyé spécial dans la bande de Gaza). -¯ Des vaches sur Philadelphia road. Importées d’Égypte, car tout peut passer à Gaza du moment que l’on paye. Incroyable, cette zone frontière où 800 tunnels ont transformé le sous-sol en un dangereux gruyère ! Lieu de tous les trafics : de nourriture, de matériaux de construction et même de voitures dans les galeries les plus larges.

Salim est l’heureux propriétaire d’un de ces boyaux. L’investissement n’est pas à la portée du premier Gazaoui venu. « Il faut environ 300 000 € pour creuser un tunnel », assure-t-il. Et le métier est dangereux : deux ou trois morts chaque semaine avec les effondrements, le gaz égyptien et les missiles tirés par les avions d’Israël. Mais quel profit ! « Dans les 60 000 dollars (50 000 €) de gain par mois pour un tunnel de longueur moyenne, 700 ou 800 m ».

Grâce à cette économie parallèle, la bande de Gaza et son million et demi d’habitants parviennent à survivre au siège imposé depuis trois ans par l’État hébreu. Les magasins sont approvisionnés, les restaurants ouverts. « Mis à part, peut-être, le lait pour bébé ou certains produits diététiques, on a toujours trouvé de tout. De qualité moins bonne, avec moins de choix, mais il n’y a jamais eu de pénurie », assure Eman Salman, infirmière et maman de deux enfants.

Mais les prix se sont emballés. « La vie est deux à trois fois plus chère », dit-elle encore. Et comme 80 % de la population est au chômage, beaucoup sont réduits à se contenter de l’aide alimentaire que distribue l’agence des Nations unies pour les réfugiés. « 90 % de mes clients achètent à crédit », dit Fouad Balah, qui tient une épicerie à Beach Camp, un des huit camps de réfugiés de Gaza.

Face à l’adversité, les Palestiniens font comme toujours : ils s’adaptent. Les pêcheurs n’ont plus le droit d’aller au large ? Ryad Dmaida s’est lancé dans l’aquaculture. Il vous fait visiter avec fierté la dizaine de bassins où il élève des perches du Nil. Israël interdit l’entrée des matériaux de construction ? D’autres fabriquent des parpaings avec des gravats récupérés sur les ruines. Redressent au marteau des fers à béton qui sont recyclés. Construisent des maisons dites « en boue », en fait très agréables à l’oeil.

« Tu es triste, prends une pilule ! »

La promesse faite par Tel Aviv de desserrer le blocus est loin d’être tenue. Chez Métro, une supérette de Shuhada Street, quelques produits israéliens ont fait leur apparition dans les rayons. « Des céréales, des biscuits et du chocolat », précise Yani al Yazji, le gérant. Ils sont vendus moins cher car, venant d’Israël, il n’y a pas le surcoût du tunnel. Mais il en faudrait mille fois plus pour que la population puisse se nourrir normalement.

La guerre qui, entre décembre 2008 et janvier 2009, a fait 1 400 morts et 5 000 blessés, a laissé beaucoup de traces. Physiques, bien sûr, avec ces centaines d’immeubles bombardés et toujours en ruines, faute de matériaux. Psychologiques, aussi. « La population est stressée. Les gens se demandent comment ils vont survivre demain, ce qui va leur arriver. Ils s’énervent plus facilement », témoigne Abdel-Ramahan Khader, psychologue, qui rencontre quantité de cas de dépression.

La plage est l’unique distraction. Chaque vendredi, elle est noire de monde, avec des femmes qui se baignent en hijab, puisque telle est la règle. Comme l’alcool est interdit, les Gazaouis se sont rabattus sur un médicament antidouleur, consommé comme une drogue : le Tramal. Importé lui aussi par les tunnels, il se vend au comprimé, dans la rue. À forte dose, cet opioïde rend euphorique. « Tout le monde en prend. Les gens s’en offrent entre eux : ‘Tiens tu es triste, prends une pilule’ », raconte Abdel-Ramahan.

Gaza est une immense prison à ciel ouvert d’où seul Internet peut donner l’illusion de s’évader. Ibrahim, 22 ans, qui vient de passer une licence de lettres, le fait par la lecture. Un peu partout dans le monde, des correspondants scannent pour lui des livres qu’il télécharge et lit la nuit. Il rêve de devenir professeur de faculté, d’enseigner la littérature anglaise en Écosse. Impossible ? « C’est plus important d’avoir un rêve que de savoir si je vais le réaliser », dit-il.

Minas, elle, restera à Gaza quoi qu’il arrive. Petit bout de femme de 21 ans, elle a choisi de lutter. Elle refuse de porter le voile, est « très surveillée » à l’université et se fait régulièrement apostropher dans la rue. « On me lance des sarcasmes, raconte-t-elle. On me dit : ‘Dieu va te punir’ ». Minas milite dans une organisation politique opposée au Hamas. Elle dit, avec courage : « Nous subissons déjà l’oppression d’Israël. Il ne faut pas que nous ayons, en plus, une deuxième privation de liberté. »

Textes et photos Marc MAHUZIER.