Le Chasseur Français N°651

Mai 1951 Page 287

Camping familial

J’ai neuf enfants ! … Bien sûr, ça ne m’est pas tombé sur la tête d’un seul coup… L’accroissement de ma famille a été au contraire caractérisé par une lente et sage progression, puisque nous ne pouvons même pas nous flatter d’avoir des jumeaux !

Nous aimions, ma femme et moi, le plein air, le tourisme ; il a fallu nous arranger pour combiner ces passions avec une autre passion très louable, l’amour des enfants !

Quand nous songeons avec émotion à nos débuts, il y a près de dix-huit ans, nous ne pouvons nous empêcher de penser a la simplicité des problèmes d’alors.

Camper avec un enfant ! mais c’était enfantin (sans mauvais jeu de mots !). Nous pouvions alors choisir entre les campings pédestre, nautique, cycliste ou automobile.

Mais Louis n’a pas été longtemps fils unique, et maintenant c’est avec l’équipe complète des neuf Mahuzier, sous la haute direction de leurs parents, que nous devons envisager nos déplacements familiaux de vacances.

Près de vingt ans de camps familiaux, fixes ou volants, m’ont enseigné quelques astuces que je suis heureux de faire connaître aux amis lecteurs.

Posons d’abord quelques principes. Voici les avantages du camping familial de vacances : indépendance, santé, économie, dévouement. Il n’y a incontestablement pas de meilleure école pour la fraternité ; elle exclut cet esprit de débrouillardise qui s’exerce toujours aux dépens d’autrui et que j’exècre.

Signalons maintenant ses obligations : la discipline, la bonne humeur, et notons enfin ses inconvénients : un travail personnel considérable des plus grands, comme des parents ; de terribles servitudes provoquées par les petits, que l’on ne peut accepter et résoudre qu’avec, précisément, les vertus fondamentales signalées plus haut, des astuces, un équipement au point.

Nous allons maintenant examiner quelques-unes de ces astuces. Évidemment, dans une équipe de onze comme la mienne, il y a ceux qui sont un actif, mettez-en huit, mais il y en a au moins deux qui ne rendent guère de service, et certainement un qui est un passif : le dernier !

Il va falloir donc tout prévoir pour que l’inclusion du dernier dans l’équipe familiale ne vienne pas transformer les vacances en une épopée catastrophique qui ruinera la santé de la mère et laissera un pénible souvenir au reste de la famille !

Ce petit dernier, il faut qu’il mange, qu’il boive, qu’il dorme, et le reste.

Le camping familial nécessite donc un emplacement où l’eau potable soit abondante et facile à rapporter. Sans eau, pas de soupe ni de lessive, et si la corvée d’eau représente l’occupation fondamentale de toute la journée, il y a de quoi rebuter les plus courageux.

Mais les camps familiaux doivent être une source de santé pour toute la famille. La nourriture doit être au moins aussi bonne que chez soi. Pas question de subsister à renfort de conserves … Non … nous mangeons en camping aussi bien qu’à la maison : bonnes soupes, grillades, légumes frais, fruits, etc. … Nos récipients seront a la hauteur de nos appétits, mais surtout notre installation de chauffage devra atteindre la perfection pour que la préparation des plats n’oblige les cuisinières ni à une reptation prolongée, ni à une vaisselle écœurante.

Le feu de lois sera réservé aux grillades, sur un gril évidemment. Il n’y a rien de tel qu’une bonne côtelette, un bon bifteck à la braise. Mais, pour les plats qui ont besoin de récipients, alors sans hésitation je recommande le réchaud, à essence ou à alcool, mais à capacité suffisante pour que la cuisson d’une plâtrée de pommes de terre pour onze personnes ne nécessite pas une recharge en cours d’opération !

Le problème le plus compliqué sera la préparation des biberons, et Dieu sait si nous en avons chauffé, sous la tente ! La solution la plus pratique est la bassine qui stérilise et chauffe les cinq ou six biberons à la fois, puis une marmite norvégienne les maintiendra à la bonne température jusqu’à leur utilisation !

Abordons maintenant un problème très « terre à terre » : le couchage. Chez moi, certains sont partisans du matelas pneumatique, d’autres lui préfèrent le lit de camp. Ma femme et moi restons en tout cas fidèles au matelas biplace : il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni ! Le dernier, toujours lui, sera l’heureux bénéficiaire d’un berceau démontable, monté sur deux X ; il y dormira au moins aussi bien que dans son chariot alsacien d’appartement.

Évidemment le problème capital sera celui des tentes. Là aussi j’ai une opinion catégorique. Une grande tente parfaitement étanche est réservée aux parents et aux petits. Elle doit posséder un large double toit et un énorme auvent destiné à servir de salle à manger pour onze personnes, quand il pleut. Personne n’y attrapera de rhumatismes, personne n’y sera obligé de ramper, car elle aura la hauteur d’une bonne personne debout.

Quant aux grands, ils auront des tentes à leur taille et à leurs goûts ; mes trois filles (dix-huit, seize, quinze ans), moins vagabondes que les garçons, auront une installation déjà très confortable, mais moins mobile que celle des grands.

Ceux-ci (vingt et un et dix-neuf ans) seront équipés en matériel volant. Le camp familial leur pèse-t-il ? Veulent-ils aller tenter leur chance, et prendre leurs risques ? Hop ! on démonte … et on revient vingt-quatre ou quarante-huit heures plus tard, fourbus, crottés, mais heureux.

Je vois d’ici les haussements d’épaule, les cris d’effroi ! « Mais il faut être millionnaire, monsieur, pour pouvoir camper comme vous ! »

Je réponds avec des chiffres. Le séjour à l’hôtel, ou la location d’une villa pour onze personnes, représente, pour les deux mois et demi de vacances scolaires, un budget de 8.000 francs par jour, sur une base très conservatrice.

Ceci correspond à une dépense totale de soixante-quinze fois 8.000 francs, soit 600.000 .francs.

Je n’étonnerai personne en soutenant que la vie, en camping, me permet d’économiser au moins 50 p. 100, soit 300.000 francs.

Calculez ce que ces 300.000 francs me permettent d’acheter en tentes, lits, matelas, duvets, matériel de cuisine, et vous arriverez à cette conclusion mathématique : un matériel familial complet est amorti en moins de deux saisons.

Et, pour finir, une histoire. En 1946, la famille Mahuzier, alors composée de dix personnes, a fait une randonnée cycliste des Cévennes aux Bouches-du-Rhône, qui a représenté quelques camps fixes ou volants dans les vallées de l’Ardèche, du Rhône, etc. …

Au passage, j’exerçais mon honnête métier de conférencier et projetais mes films de chasse aux grands fauves en Afrique Équatoriale française.

A Barjac (Gard), nous étions hébergés par le Comité local des sapeurs pompiers, et un public enthousiaste salua les images de mes chasses à l’éléphant, projetées dans un préau d’école, sous le merveilleux ciel étoilé du Midi.

A l’issue de cette mémorable journée, je devais recevoir une lettre de remerciements des pompiers de Barjac, dont la caisse fâcheusement plate s’était considérablement regonflée à la suite de mon passage ! Cette lettre, je l’ai encore dans les yeux et dans le cœur, et je me la lis avec un savoureux accent du Midi !

[|« Monsieur Mahuzier,

L’on vous remercie encore, et l’on vous dit combien nous avons tous admiré votre belle famille, sa discipline, sa débrouillardise, si bien que maintenant nous disons aux gosses chez nous : essayez d’être aussi braves que les enfants Mahuzier ! »|]

Et c’est ma plus belle récompense, c’est le plus beau témoignage de satisfaction, acquis dans un camping familial pratiqué de 1930 à 1950, dans la joie générale.

A. MAHUZIER.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 287