Travailler en indépendant, gérer son temps… C’est de plus en plus possible, grâce aux nouvelles demandes des entreprises et au Net. Conseils pour le Grand saut.
Cadre en SSII ou jeune ingénieur, vous entendez sans cesse parler de la pénurie d’experts dans le secteur informatique. Deux solutions : vous faites monter les enchères pour gagner le plus possible en tant que salarié et gérer une carrière express ou… vous choisissez la liberté et profitez de la demande pour devenir free-lance. Ça vous tente ? Vous n’êtes pas les seuls.
Une enquête réalisée en octobre dernier auprès des cadres du privé par l’Institut du temps géré (une entreprise de portage salarial) et le CSA a montré que 45 % d’entre eux souhaitent changer de vie professionnelle et que le quart de cette population voudrait prendre son indépendance. C’est donc près d’un cadre du secteur privé sur quatre qui veut créer son entreprise (soit 12 % des personnes interrogées) ou exercer une activité indépendante.
Aux états-Unis, le phénomène a pris depuis trois ans un véritable caractère sociologique de fond. Depuis que, en décembre 1998, le magazine Fast Company a lancé le concept de « free agent nation », dont le théoricien est Daniel Pink, il est admis que les free-lances sont une des forces principales du dynamisme de l’économie américaine (et aussi une bonne manière d’amortir les chocs conjoncturels…).
Après tout, selon les estimations officielles, ceux qu’on appelle les SOHOs (Small Office Home Office) et autres « home based heroes » (héros installés à la maison) occupent approximativement 30 % de la population active américaine. Daniel Pink révèle dans son livre que désormais plus de 25 millions d’Américains sont autoemployés, alors qu’à peine un sur dix travaille pour l’un des 500 premiers groupes classés par le magazine Fortune.
Mais que faut-il vraiment pour faire un bon free-lance ? De fortes motivations, tout d’abord. Selon Eric Delannoy, directeur général pour l’Europe de Freelance.com, qui vient de publier une enquête Ifop consacrée à ce sujet (lire encadré page 132), « les free-lances qui réussissent le mieux disent apprécier de ne devoir qu’à eux-mêmes leur réussite (61 %), ils sont très attachés à leur liberté (37 %) et à la flexibilité (28 %), ainsi qu’à la possibilité de choisir leurs clients (17 %) ». Quant à l’argent… « Les avantages financiers ne sont pas discriminants puisqu’ils n’entrent que pour 10 % dans les motifs invoqués par les interviewés. » L’enquête conclut même que les trois conditions du succès sont : l’ambition personnelle, le dynamisme et l’organisation.
Hervé Jaigu, 37 ans, ingénieur informaticien de formation, cinq ans chez Arthur Andersen, huit chez Cap Gemini, a sauté le pas en septembre dernier. « Dans les grands groupes, on ne parle que de fusion, de restructuration, de changement de métier, explique-t-il, non sans humour. Rien n’est plus sûr, alors, tant qu’à faire, autant choisir la liberté d’action. J’avais une valeur sur le marché, j’ai décidé de la transformer en projet personnel au lieu de fonctionner dans les projets des autres. »
Il insiste sur la lassitude de certains cadres de grands groupes, qui n’ont plus envie de se faire manipuler ou imposer des changements mal compris : ceux-là, d’après lui, sont mûrs pour le grand saut, après que leur projet a pris corps.
Ironiquement, d’ail-leurs, c’est souvent lors de stages de formation à l’efficacité personnelle, payés par leurs entreprises, que les cadres prennent conscience de l’importance d’avoir un projet, de tirer le maximum de leurs talents, bref, comprennent qu’il leur est possible de voler de leurs propres ailes.
Hervé Jaigu, un prestataire indépendant dans le secteur informatique, est aujourd’hui installé chez lui, près de Nantes. Responsable de projet, il établit des diagnostics chez des clients, définit des missions et… trouve d’autres free-lances pour les mener à bien. Car cet indépendant fait partie du réseau de la quarantaine de « managers commerciaux » français de Freelance.com, une société qui fédère, assiste et organise près de 60 000 indépendants dans le monde, dont 16 000 en France.
Créée en 1996 par des Français, elle est basée à New York tout en étant présente également dans douze autres pays. La formule qu’elle propose doit être attrayante, puisque 250 nouveaux free-lances la rejoignent chaque mois.
Si cette structure est unique en son genre par l’étendue des prestations qu’elle fournit, elle représente bien une des tendances lourdes du marché émergent des free-lances, qui paraît également un paradoxe. Aujourd’hui, pour réussir en free-lance, il vaut mieux être en réseau. En communauté Hervé Jaigu trouve des missions pour des confrères, en assure le suivi et contrôle la qualité. Tout en réalisant son rêve d’indépendance, il résout l’un des principaux problèmes qui se pose aux free-lances : trouver de nouveaux clients.
Certes, le marché existe : selon le baromètre Outsourcing 2000 d’Arthur Andersen, 60 % des entreprises de plus de 500 salariés et 47 % des jeunes pousses font appel à des free-lances, y compris pour les fonctions proches de leur coeur de métier. La difficulté, pour les entreprises, consiste à identifier les meilleurs prestataires. Et, pour les free-lances, à accéder à des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs.
Timothé Mahuzier est un Web-designer parisien de 25 ans qui, dès la fin de ses études d’art graphique, a opté pour le free-lance. « L’important, pour moi, c’est de faire de belles images, pour des clients différents, avec des missions variées en parallèle. J’avais envie de garder de la souplesse, ma liberté, bien sûr, et de bouger. » Il représente les 10 % de free-lances qui décident de le devenir en sortant de l’école, sans complexe. Il lui fallait quand même trouver des clients suffisamment variés pour s’épanouir et gagner sa vie. Il a donc rejoint la communauté Freelance.com. « Grâce à ses agents commerciaux, elle m’apporte des contacts différents et un panel de clients intéressants. » En moyenne, la commission du réseau est de 20 % des prestations facturées, montant partagé avec les « managers commerciaux ».
Pour trouver des clients gratuitement, on peut évidemment s’appuyer sur son carnet d’adresses d’ex-salarié. C’est la base de toute prospection. Mais le Web apporte aussi des systèmes qui peuvent se révéler utiles, telles les « places de marché » en ligne, où des free-lances déposent un descriptif de ce qu’ils savent faire et où des clients viennent faire leur marché selon les besoins. Ce genre de « plate-forme » fonctionne bien aux Etats-Unis. Certaines d’entre elles, comme Freeagent.com, Guru.com, ou E-lance.com, apportent même des fonctionnalités supplémentaires d’aide à la gestion.
Si vous êtes bilingues et vraiment internationaux, vous pouvez vous lancer sur ces plates-formes ou sur Smarterwork.com, son équivalent européen. Mais c’est sans garantie. Il faut que votre offre rencontre nécessairement une demande. Si vous êtes informaticien, expert du Web, traducteur ou graphiste, vous aurez de bonnes chances de trouver du travail. Si vous êtes un peu trop généraliste, vous risquez d’attendre longtemps de recevoir une commande sur votre cyberbureau.
Tous les problèmes des free-lances tournent autour de l’organisation de leur temps, qui, soudain, devient très rempli ; il faut le répartir entre le métier, la prospection, l’administratif et ce qu’on pourrait appeler le « ressourcement ».
Ce dernier point est délicat, le free-lance doit continuer de se former, et ne pas rester seul. Côté formation, vous pouvez toujours, si vous faites partie d’un réseau comme Freelance.com, profiter de ses accords avec de grands partenaires (IBM, par exemple) ou aller vous-même sur des sites comme Manager-coach.fr (4 200 francs hors taxes par an) acheter votre autoformation.
Contre la solitude aussi Internet peut offrir quelques ressources : pour s’échanger des tuyaux, il est enrichissant de faire partie d’une communauté sur le Web (par exemple Motamot.com ou eGroups.fr, deux sites gratuits). Mais il est encore plus efficace de rencontrer des gens de sa communauté au cours de vraies réunions. Ainsi le réseau-agence de journalistes Editoile.com organise-t-il des conférences de rédaction par thème ou par projet. Editoile.com va d’ailleurs encore plus loin, puisque ses animateurs aident les rédacteurs free-lances à définir leurs souhaits, leurs disponibilités, et à adapter leurs projets personnels aux projets éditoriaux en cours.
Mais ces problèmes sont aussi des moyens de se former, explique Hervé Jaigu, qui souligne également les bons côtés de son statut. « Je peux aller jouer au tennis quand les courts sont vides ou réservés par des gens qui, comme moi, savent rendre leurs horaires flexibles. »