LES VOYAGEURS. Depuis qu’il est âgé de six mois, Alain Mahuzier vit en alternance entre l’étranger et la France. Une histoire de famille qui se transmet puisque le documentariste a aujourd’hui pris le relais de son père, pionnier des ciné conférences » Connaissance du monde « . Nous l’avons rencontré en Thaïlande.
De notre correspondante en Thaïlande.
Après une première expédition de repérage, un mois plus tôt, l’empire Mahuzier contre-attaque. En délégation au Siam, la représentation en l’occurrence est minimale : le cadet de la famille, Alain Mahuzier, frisant la cinquantaine, son éternelle caméra 16 mm de marque Aaton héritée de son père et son photographe attitré, Christophe Bervialle, harnaché de boîtiers et objectifs en tous genres. Débarquée à l’aube à l’aéroport Don Muang, en ce premier lundi du nouveau millénaire, la petite équipe – la tête encore pétillante du champagne consommé allégrement l’avant-veille – s’engouffre tant bien que mal dans un taxi jaune canari, loué pour la semaine. Direction : le marché flottant de Damnoen Saduak, Kanchanaburi, le pont de la Rivière Kwaï, les cascades de Sai Yok, le village de Thongphaphu, Sangkhlaburi jusqu’au col des Trois pagodes perché à la frontière de la Birmanie puis, de retour à Bangkok, quelques visites de temples et musées, histoire d’achever le travail amorcé quelques semaines plus tôt. Le tout avant de prendre un peu d’altitude et de s’envoler pour Chiang Mai et les tribus Lisu, Akkas et Yao. Un mini échantillon d’un programme s’étirant sur plusieurs semaines, calé à la minute près et saturé d’étapes » incontournables » dans la découverte du pays. » Je pars généralement sans scénario préétabli.
Mais à l’amont, j’ai fait un énorme travail de préparation, recherche et documentation » commente le cinéaste. » Je cherche à montrer la réalité telle qu’elle est. Je ne veux rien déformer, mais rien cacher non plus » poursuit-il, faisant allusion à ses démarches avortées auprès du Tourism Authority of Thailand : accepter leur subvention, c’était accepter dans la foulée la présence constante d’un accompagnateur et le passage du film par le comité de censure. » Je préférerais mettre mon film à la poubelle plutôt que d’accepter cette dépendance » souffle-t-il. Un bon documentaire, à mon sens, doit donner envie au public de voyager pour en savoir plus. Le cinéma doit faire rêver, mais rêver lucidement. À la télévision de s’attarder sur les problèmes sociaux et autres. On ne travaille pas dans le même registre » explique Alain Mahuzier, les yeux rieurs sur une barbe poivre-sel. Pour le tournage d’un documentaire de 90 minutes sur la Thaïlande, qui sera diffusé dans le cadre de l’organisation Connaissance du monde, Alain Mahuzier déploie tout son savoir-faire. Et ce n’est pas rien. Car les Mahuzier et leurs labels » Expéditions Mahuzier autour du monde » règnent sur les circuits de ciné conférences en langue française depuis plus d’un demi-siècle. Accessoirement, c’est aussi eux qui ont inventé ce système d’exploration du monde.
En 1947, Albert Mahuzier (père) lance en effet les premiers circuits de ciné conférences dans les pays francophones. Avec lui, toute une génération suivra. À commencer par sa propre progéniture : six garçons et trois filles, que Janine et Albert Mahuzier entraîneront gaiement avec eux camper chez les Pygmées d’Afrique, les aborigènes d’Australie, les Indiens d’Amérique du sud ou du nord, sillonner les routes d’Albanie, de Russie – de la Sibérie à la Carélie ou à l’Orient soviétique – ou encore naviguer autour du monde à la poursuite d’oiseaux migrateurs, de castors ou d’ours. Une ribambelle de joyeux garnements (âgés de quelques jours pour le plus jeune à 22 ans), qui fournit à l’entreprenant Albert, une équipe technique particulièrement étoffée et cohérente. Ainsi, Alain Mahuzier voyagera-t-il dès l’âge de six jours. » J’ai vécu à ce rythme jusqu’à l’âge de 15 ans : un an de voyage puis un an de vie sédentaire, consacrée à l’exploitation des films. J’allais donc à l’école, à Boulogne-sur-Seine, un an sur deux. Durant l’année où nous voyagions autour du monde, les cinq aînés de la famille, qui avaient déjà passé leur bac, enseignaient aux plus jeunes. Des livres scolaires nous suivaient dans une grande cantine, cachée au plus profond des voitures, et que l’on n’ouvrait que sous la contrainte » se rappelle Alain Mahuzier, ses souvenirs livrés dans un tohu-bohu de bruits de ferraille et au gré des cahots du train qui franchit le célèbre Pont de la rivière Kwaï. » Ma mère et mes sours aînées s’occupaient de l’intendance.
Mes frères aînés étaient assistants photographes, cinéastes ou chauffeurs. Mon premier rôle, alors que je n’avais pas deux ans, a été de porter les piquets des tentes. Puis j’ai eu droit à ma première caméra, à l’âge de 15 ans, puis à une deuxième. Étant le plus jeune, j’ai profité de la richesse de cette vie de nomade. » Ce mode audacieux d’éducation amènera cependant » le petit dernier » à une maîtrise d’histoire-géographie et d’archéologie, et à un doctorat d’archéologie de l’université Paris 1 Sorbonne. Tout comme quatre autres de ses frères, Alain Mahuzier a choisi de perpétuer la tradition familiale. Dès 1968, voyages d’études, missions archéologiques et tournées cinématographiques, le mènent aux quatre coins du monde. À la suite du décès de son père en 1980, il poursuit seul l’exploitation du documentaire sur le fleuve Amazone. Son épouse, Katia de Pins, graphiste et illustratrice, partage avec lui sa passion pour le voyage. Elle assiste et accompagne Alain Mahuzier sur de nombreux longs métrages, » quand ses charmants enfants – au nombre de quatre – lui en laissent le temps » précise-t-on.
Ainsi, tout en préparant d’autres reportages sur la Birmanie et la Patagonie et en poursuivant l’exploitation de son dernier documentaire sur le Chili, Alain Mahuzier vient d’ajouter la Thaïlande à sa longue liste de territoires conquis. Sillonné du nord au sud, d’est en ouest au fil de plusieurs mois de séjour – en discontinu -, le Siam s’est plié au format 16 mm, » très avantageux, moins onéreux et encombrant que l’intransportable 35 mm » précise le cinéaste. Le montage du documentaire achevé, Alain Mahuzier commentera son film en direct, devant chaque auditoire ; procédé spécifique aux présentations de ciné conférences. De Chalon-sur-Saône à Monaco, Menton ou Saint-Raphaël, la Thaïlande sera bientôt aux portes de la France.
Laurence Sreshthaputra